dimanche 9 août 2009

Contribution de Jo Carret


Rôle de l’art … et théâtre de l’Opprimé 6 août 2009 L’hypothèse communiste - interview d’Alain Badiou par Pierre Gaultier dans « le grand soir , journal militant d’information alternative ». Alain BADIOU Professeur émérite de philosophie à l’École Nationale Supérieure, Alain Badiou a longtemps été plus populaire à l’étranger – et surtout aux Etats-Unis – qu’en France... jusqu’à la sortie, en 2007, de son essai: De quoi Sarkozy est-il le nom ? Considérable succès en librairie, ce recueil de textes lumineux et d’une grande hauteur de vue historique examine la situation politique immédiatement avant et après la présidentielle de 2002, critique la démocratie électorale (un choix fallacieux, une "désorientation organisée qui donne les mains libres au personnel de l’Etat") et analyse les différents traits d’un "transcendantal pétainiste" de la France, dont relèverait Sarkozy. En conclusion, Badiou rappelle le sens premier de l’hypothèse (ou Idée) communiste : "En tant qu’Idée pure de l’égalité, l’hypothèse communiste existe à l’état pratique depuis sans doute les débuts de l’existence de l’Etat. Dès que l’action des masses s’oppose, au nom de la justice égalitaire, à la coercition de l’Etat, on voit apparaître des rudiments ou des fragments de l’hypothèse communiste (...). Les révoltes populaires, par exemple celle des esclaves sous la direction de Spartacus, ou celle des paysans allemands sous la direction de Thomas Münzer, sont des exemples de cette existence pratique des "invariants communistes"". Quel pourrait être le rôle de l’art, aujourd’hui, dans cette "renaissance espérée de l’Idée communiste" ? Comme je le soutiens (notamment dans Circonstances 2), la difficulté aujourd’hui ne réside pas dans les formes de la critique, mais dans son dépassement affirmatif. C’est de l’Idée créatrice que nous avons besoin, non du spectacle désolant de l’oppression, lequel communique avec une pénible idéologie victimaire. Je suis, pour utiliser mon vocabulaire, un "affirmationiste". L’art contemporain doit faire voir affirmativement la possibilité de l’émancipation, laquelle ne réside jamais dans le simple constat de l’oppression, même fait du point de vue des opprimés. C’est ce qu’il y avait de juste, il faut le dire, dans certains aspects "héroïques" du réalisme socialiste. Le relais, pour l’instant, n’est pas pris. La critique occupe tout l’espace. Nous avons besoin d’une critique de la critique. …//… Selon Augusto Boal, dramaturge et homme politique brésilien, le "système tragique coercitif" d’Aristote, omniprésent au théâtre et au cinéma, participe au maintien de l’ordre établi. En effet, par la catharsis, il purge les spectateurs des pulsions socialement nuisibles. Vous qui avez écrit des pièces de théâtre et consacré de nombreux textes au cinéma, êtes-vous d’accord avec Boal ? Je n’ai jamais considéré que la théorie d’Aristote sur la catharsis soit bien fondée. L’effet artistique, dans son essence, est un effet d’incorporation à l’Idée, Idée qui, au théâtre, est symbolisée dans l’instant des corps-langages, et qui, au cinéma, est de l’ordre de la visitation dans l’image. Tout dépend donc en dernier ressort de la nature subjective de l’Idée, de son rapport à la conjoncture, du type de division qu’elle instruit dans le public. On sait parfaitement qu’un cinéma de forme tout à fait classique, comme celui de Chaplin, produit globalement des effets progressistes, ou peut les produire, tandis que des performances "participatives" n’y parviennent pas. Pourquoi ? Parce qu’il est impossible de légiférer sur le rapport entre art et politique d’un point de vue uniquement formel. Sur ce point, les avant-gardes n’ont pas eu plus de succès que le "réalisme socialiste" stalinien. Détruire les vieilles formes ne conduit pas nécessairement à des résultats politiquement utiles, mais remplir ces vieilles formes avec des contenus révolutionnaires peut tout aussi bien n’être qu’une rhétorique d’Etat. Toute la question est de savoir par où passe, dans un contexte politique et esthétique donné, la puissance de l’Idée, sa capacité à changer, au moins un peu, les individus. Et cela ne peut être décidé unilatéralement, ni du point de vue des formes artistiques, ni du point de vue des exigences politiques. On est à un croisement de deux procédures de vérité distinctes, et il n’y a pas de méta-discours qui puisse organiser ces croisements. Il faut expérimenter, et réagir selon les effets. Que pensez-vous justement du "théâtre de l’opprimé", participatif, qu’a théorisé et pratiqué Augusto Boal ? Il a de grands mérites, mais il ne dépasse pas la critique, la (re)présentation populaire de l’oppression, le cri de la révolte. Pourtant, il ne se limite pas à un simple constat dénonciateur : il se donne pour objectif d’entraîner le spectateur/acteur à affronter les situations d’oppression. La politique ne consiste pas à "affronter les situations d’oppression". Elle consiste à faire valoir, dans une situation déterminée, et de façon organisée, la force de quelques principes opposés à ceux qui dominent en général l’esprit des individus. Dans ce que j’en connais (et encore une fois, je soutiens ce théâtre, et je suis bien loin d’en connaître toutes les manifestations), le Théâtre de l’opprimé est encore très pris dans l’idée que la politique commence par la révolte sociale contre l’oppression, économique principalement, et ses dérivés. Ce marxisme classique est sympathique, mais obsolète. Nous savons aujourd’hui que la politique va des principes aux situations, et non du "social" à l’Etat par l’intermédiaire de la révolution, comme la doctrine classique le croyait. Il est de ce fait tout à fait possible qu’une comédie de Molière ait plus d’emprise politique positive sur un spectateur passif qu’un sketch "en situation" et participatif sur son public, généralement du reste convaincu d’avance.
Publié par cazalschristian à l'adresse 8/08/2009 10:01:00 AM 0 commentaires
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vendredi 7 août 2009

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